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Judy Watson Napangardi


Construite dans la couleur, même si elle excelle aussi dans le blanc et noir, l’œuvre de Judy Watson Napangardi exalte la puissance des Ancêtres, l’amène à façonner ses toiles comme ces Etres du Temps du Rêve ont créé les paysages. Judy s’inspire essentiellement de deux motifs. L’un raconte les cérémonies appartenant aux femmes sur le site de Mina Mina, l’autre s’inspire des « ceintures de cheveux », fabriquées à partir de cheveux humains et de fibres, symboles des femmes initiées, ayant passé le cap de la puberté.
Judy serait née entre 1925 et 1935. Comme la plupart des walpiri de cette génération, (warlpiri désignant son groupe linguistique), elle a connu une existence nomade avant de se fixer à Yuendumu, vivant de la chasse et de la cueillette. Elle a commencé à peindre dans le milieu des années 1980 mais il faut attendre le décès de sa sœur, « old » Maggie Watson, en 2004, pour que sa production augmente. Dès le début, les couleurs marquent l’aventure artistique à Yuendumu. Mais Judy est sans doute l’artiste de Yuendumu à utiliser autant de teintes sur une même toile. En vieillissant elle a gagné en assurance et le fait d’avoir abandonné le pointillisme pur, (elle peint avec une brosse à laquelle elle donne un mouvement en soulevant sa main mais pas suffisamment pour que le pinceau quitte la surface de la toile – on a ainsi un effet de vibration de la ligne qui imite celui obtenu par le pointillisme) a renforcé encore le sentiment de vitalité de sa peinture. La même vitalité qui selon Judy habite ses terres, animées de l’énergie spirituelle. D’ailleurs Judy dira elle-même qu’elle aime peindre car cela lui permet d’être en contact avec ses Ancêtres…son Pays.
A partir d’une trame, l’histoire de ces Ancêtres, transmise de génération en génération sur des milliers d’années, Judy trouve la couleur juste, insuffle la vie à ses peintures en donnant à la ligne une force mystérieuse, une puissance dans le mouvement. Là où sa cousine Dorothy réduit les motifs au minimum (juste un alignement de points fins, avec des compositions presque sans couleurs), Judy livre des toiles complexes. Si chez Dorothy on peut, ou on veut voir un mixe entre la nature physique (le site de Mina Mina, riche en sel, à la terre craquelé, fait immédiatement penser à ses compositions) et l’histoire du site, associé au Rêve du Bâton à Fouir, chez Judy, on a bien du mal à y voir un lieu qu’un Occidental qualifierait de désert (une zone semi-aride si l’on veut être juste).
Les toiles de Judy se présentent souvent comme une construction complexe et colorée. L’art de Judy est assez paradoxal. Elle est frêle, petite, très âgée. Son physique tranche avec le dynamisme inventif, l’énergie qui semble l’animer quand elle saisit la brosse. Certes ses trais sont épais, ses cheveux gris, mais comme souvent chez les Aborigènes son regard semble lire en vous comme dans un livre ouvert. Et ici plus qu’ailleurs il faut se méfier des apparences. Comment imaginer qu’un petit bout de femme si maigre, si petite puisse peindre avec une telle puissance, puisse brosser des grands formats en un tour de main sans aucune hésitation. A son âge, elle est née entre 1925 et 1935, elle est encore capable de se lancer dans la construction d’un grand format, de 4 m de long…au milieu de la toile son gabarit paraît complétement disproportionné. Mais elle se lance sans se poser de question. Judy peint avec une aisance digne des meilleurs calligraphes. A partir d’une trame parfaitement équilibrée, un dessin qui décrit le voyage des Rêves, elle dépose peu à peu des couleurs, souvent pures. Tout en peignant elle semble souvent comme absente, comme d’autres artistes aborigènes, George Tjungurrayi par exemple.

Comment l’immensité des espaces silencieux du Désert central peut-elle donner naissance à une peinture aussi complexe, aux teintes aussi vives ? C’est que cette rudesse de nomades – la vie dans le bush a quelque chose de rude – cohabite avec une sensibilité qui lui fait adopter le ton juste. Ne négligeons pas non plus les connaissances d’une femme de son âge et de son niveau d’initiation, ni son expérience de quelque vingt-cinq ans de peintures et gravures. Elle connaît parfaitement la puissance des forces telluriques mues par les Ancêtres, l’énergie physique des sites sacrés, imprégnés encore de la puissance de ses Ancêtres. Par la tonicité d’une touche alerte et souple, par l’intensité des tons, le rayonnement lumineux qui en jaillit, elle cherche à montrer ces forces. Mais le piège consisterait à en rester là. Il s’agit aussi d’art contemporain montrant une maîtrise rare de la peinture, un sens intuitif de la construction et de la couleur. Chez elle, il s’agit de condenser une multitude d’informations : l’environnement (végétation, eau, topographie), l’histoire d’un site, des Ancêtres qui en sont à l’origine, leurs actions, les réunions des initiés pour les cérémonies… Le visible et l’invisible prennent forme.

Ces couleurs éclatantes exaltent un site sacré important, celui de Mina Mina. Les gardiens de ce territoire, situé à l’ouest de Yuendumu, sont les femmes Napangardi et Napanangka et les hommes Japangardi et Japanangka. Au Temps du Rêve, la genèse selon les Aborigènes, un groupe de Femmes Âgées voyageait vers l’est tout en collectant de la nourriture et des lianes serpents et réalisait, ici et là, des cérémonies. Elles entamèrent leur voyage à Mina Mina où des bâtons à fouir émergèrent du sol. Les Femmes s’en saisirent pour leur voyage. Ces bâtons vont devenir à la fois un outil de survie (il sert à se défendre, à déterrer les tubercules, les racines, à tuer les animaux), et un symbole des femmes. Les Femmes confectionnèrent des ceintures (Mariardi) destinées aux rituels. Elles chargèrent leurs corps d’ocre fixé avec de la graisse pour montrer leur puissance et se mirent à danser, parfois en file indienne. A chaque fois qu’elles célèbrent des rites, elles créèrent des sites sacrés. Elles cherchèrent aussi de la nourriture et des éléments qui pourraient les aider à rétablir leur santé. Les lignes sinueuses des toiles de Judy évoquent autant le mouvement des danses, le cheminement de ses Ancêtres, que les lianes serpents. Celles-ci revêtent une grande importance pour les femmes Napangardi et Napanangka et sont utilisées aussi bien pour les cérémonies que dans la vie profane. Elles sont représentées par les formes de lignes se croisant à la manière d’une colonne d’ADN, symbole de vie s’il en est. Le choix d’une grande toile paraît judicieux tant les détails sont nombreux, mais Judy se montre tout aussi à l’aise dans les petits formats. Ici, souplesse des lignes, couleurs, tout témoigne d’un équilibre.
Judy et sa fluidité joyeuse…étrange perception qui contraste avec son personnage, souvent nettement intériorisé, silencieux comme sa vieillesse qui détonne avec son incroyable audace artistique et le sentiment de vitalité de ses toiles.


Judy, jusqu'à son décès en mai 2016, est considérée comme l’une des chefs de file de l’art aborigène. Ses toiles ont été vendues jusqu’à 130 000 € en vente aux enchères (Australie), plus de 50 000 € à Paris et font parties d’importantes collections privées et publiques dont :

Collections:
Araluen Art & Cultural Centre, Alice Springs, NT,
Art Gallery of New South Wales, Sydney,
Aboriginal Art Museum, Utrecht, Pays Bas;
Central TAFE, WA ,
Gordon Darling Foundation, Canberra,
Flinders University Art Museum, Melbourne,
National Gallery of Australian, Canberra,
National Gallery of Victoria, Melbourne,
Museum and Art Gallery of the Northern Territory, Darwin,
South Australian Museum, Adelaide
British Museum,...