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Linda Syddick Napaltjarri


L’une des figures clés, sans conteste l’une des plus originales et des plus autonomes de ce mouvement, se nomme Linda Syddick Napaltjarri.
Elle a en effet introduit des nouveautés surprenantes, comme le personnage d’E.T., et des sujets inédits : profanes, comme le premier signe de la civilisation occidentale qu’elle a aperçu, une éolienne, ou des motifs masculins, sans oublier des motifs chrétiens.
D’une extrême originalité, son art est le fruit d’une réflexion mais aussi de son histoire personnelle marquée par un événement brutal, le décès de son père, tué d’un coup de lance lors d’une expédition punitive (sans doute au début des années 1940, son corps est ensuite brûlé bien que dans certaines versions il était dit que son corps est disparu).
Si le Temps du Rêve constitue la source d’inspiration principale de la peinture du désert et s’il s’agit en principe d’une peinture symbolique d’où les éléments figuratifs sont absents, ce n’est pas toujours le cas dans la peinture de Linda, une forte personnalité née à la fin des années 1930. Souvent, autour de motifs vieux de milliers d’années, on retrouve des personnages qui évoquent le voyage d’une famille idyllique, d’une famille reformée. Des œuvres qui forment un pont entre les peintures aborigènes les plus classiques et l’art occidental. Les motifs figuratifs, le plus souvent des personnages qui évoquent les membres de sa famille donc ou des Ancêtres (parfois les deux avec plusieurs niveaux de lecture), sont peints de façon assez naïve mais il s’en dégage une certaine puissance et une grande poésie. Si ses motifs chrétiens évoquent en nous des images connues de mosaïques, il faut les replacer dans le contexte aborigène pour en mesurer la grande originalité. Mais ses oncles et son beau-père Shorty Lungkarta Tjungurrayi, un grand initié et un des grands peintres qui se remarie avec la mère de Linda, et l’élèvera comme sa fille, lui donnent l’autorisation de peindre certaines de leurs histoires. La peinture peut alors prendre un aspect quasi abstrait. Des cercles concentriques reliés par des lignes où on distingue seulement la patte de Linda et les teintes qu’elle affectionne particulièrement comme toute la gamme allant de l’ocre au jaune…et parfois le bleu, qui peut être franchement électrique, qui symbolise un point d’eau. A une certaine période elle réalise des toiles avec beaucoup de bleu, atténué par l’ocre marron et les jaunes. Et viennent se distinguer d’étranges silhouettes avec les bras levés. Elles symbolisent les Ancêtres Hommes Emeus Ces Ancêtres étaient capables de modifier leur apparence, humaine ou animale d’où leurs noms d’Hommes Emeus. Linda mêle à ces motifs figuratifs (elle aurait pu les remplacer par des formes en U comme, un symbole employé très largement dans la peinture aborigène) des cercles concentriques symbolisent le voyage des Ancêtres Tingari. Au centre un cercle représente le site de Walukurritje, à mi-distance du lac Mc Donald et du lac MacKay – dans le Désert de Gibson. Les Ancêtre Hommes émeus désiraient qu’ils pleuvent, ils étaient sur le point de mourir de soif. C’est un Tingari qui vient à leur aide et qui fit pleuvoir (en utilisant des sagaies qui transpercèrent les nuages et un objet magique, une coquille gravée en nacre) et les Hommes Emeus chantèrent et dansèrent, heureux. Depuis cette épisode du Temps du Rêve, on trouve toujours de l’eau à Walukurritje (également orthographié Walukirritjinya). Mais le dépositaire de ce thème était Shorty, et c’est aussi une histoire associée aux Ancêtres Hommes Tingari et qui appartient en principe uniquement aux hommes. Linda a eu des soucis en livrant ses motifs car des hommes l’accusèrent de ne pas avoir les droits sur ces motifs. C’est Shorty qui les lui avait transmis pour éviter qu’ils ne se perdent. Dans le même temps elle y ajoute sa touche personnelle.

À partir du milieu des années 2000, une série devient une source importante de son inspiration. Une toile aussi riche au niveau pictural que son histoire, inspirée des premiers contacts de Linda avec la civilisation occidentale. Elle représente une éolienne servant à alimenter une réserve d’eau, l’un des symboles du désert australien. Mais un guérisseur qui accompagnait Linda alors voyait là l’image d’un démon qu’il a tentait en vain de détruire avec l’aide d’objets magiques. Linda a reçu un grand prix artistique pour une toile sur le même thème en 2006. Il s’agit d’un bel exemple de la façon dont les artistes aborigènes parviennent à incorporer des nouveaux éléments et événements dans leurs peintures.

Quant à ses peintures chrétiennes, ou celles sur le thème d’ET, qui avec le temps se font plus rares, elles connaissent un succès critique (elle remporte le Blake Art Price et les musées font souvent l’acquisition de toiles de cette série). Fred Meyers dans un essai fait le parallèle entre sa vie, la mort de son père, le fait d’être recueilli par Shorty, de devoir quitter « sa terre », la perte d’enfants, les déplacements avec son mari, un dentiste blanc (également docteur en biologie,) et les thèmes qu’elle aborde. ET, le petit extraterrestre, est lui-même abandonné à lui-même, déraciné mais avec l’aide d’un petit garçon parvient à retrouver les siens. Le monde chrétien nous offre aussi l’image du peuple hébreux qui ère dans le désert et se termine par une promesse de salut (comme pour les histoires du site de Walukirritjinya, la pluie venant finalement sauver les Hommes Emeus). La peinture comme la vie de Linda est fortement marquée par un sentiment de nostalgie. Et ce parallèle entre la tradition la plus pure, les événements de sa vie, de ses croyances, rend cette peinture très originale et montre la créativité et le talent de ses artistes. Dans ses peintures, son père n’est jamais seulement son père, il symbolise à la fois les grands initiés, son beau-père, ses oncles, parfois le christ lui-même
Sa capacité à se renouveler et à innover est saisissante. Au moment où nous écrivons ses lignes, Linda est très âgée. Elle est encore capable de produire des œuvres de très grande qualité mais cela nécessite une grande concentration, beaucoup de temps et d’énergie. Depuis quelques années, elle peint parfois sans fond pointilliste et depuis quelques mois sans point du tout. Si de très nombreuses institutions publiques ont acquis des toiles de Linda, aussi bien en Europe qu’en Australie, elle semble, pour le moment, sous-estimée sur le second marché, à notre grand regret.
Il ne faut pas oublier chez elle la volonté de sauvegarder une partie de ses connaissances. Car sans doute perçoit elle aussi le risque pour la culture aborigène de disparaître à plus ou moins brève échéance. Et sans nul doute lorsqu’elle se met à peindre, elle pense à Shorty qui voyant sa fille biologique se détourner de sa culture confia à Linda des secrets vieux de plusieurs centaines d’années…

Collections :
Musée du Quai Branly, Paris, France
Musée des Confluences, Lyon, France
Museum and art Galleries of the Northern Territory, Darwin, Australie
Auckland City art Gallery, Nouvelle Zélande
Woollongong City Art Gallery, Australie
Art Gallery of South Australia, Canberra, Australie
Araluen Centre, Australie
The Kelton Foundation, Santa Monica, USA
Artbank, Sydney, Australie
Art Gallery of New South Wales, Sydney, Australie
National Gallery of Australia, Canberra, Australie
Art Gallery of Victoria, Melbourne, Australie
Linden Museum, Stuttgart, Allemagne